Sur une carte de France, tracez une ligne droite qui part d’Hendaye, pointe extrême sud-ouest du pays, à la frontière espagnole,et qui va jusqu’à Wissembourg, pointe extrême nord-est, à la frontière allemande. Dans l’autre sens, tracez une ligne depuis la Pointe du Raz (là où finit la terre au nord-ouest) jusqu’à Cannes au bord de la Méditerrannée. Pour trouver Faux-la-Montagne, il vous suffira d’aller au croisement de ces deux lignes, à peu près à égale distance par la route (700 kilomètres environ) de Brest, Strasbourg, Barcelone ou Bruxelles. Voilà pour la géolocalisation.
Et pour être plus précis : au sud du département de la Creuse, au centre du Limousin (intégré depuis au sein de la Nouvelle Aquitaine), sur une Montagne limousine qu’on appelle aussi, ici, le Plateau de Millevaches. Nous sommes en pleine campagne, dans un paysage de moyenne montagne, de lacs et de forêts qui n’ont, les premiers comme les secondes, pas plus de cent ans d’âge.
La commune peut s’enorgueillir ainsi de la présence de trois lacs sur son territoire : Chammet en limite avec la Corrèze ; Faux-la-Montagne au cœur même de la commune (avec son fameux, et quasi-unique en Europe, barrage à voutes multiples) ; Vassivière enfin, vaste étendue d’eau de 1000 hectares en limite avec la Haute-Vienne. L’altitude oscille entre 525 et 821 mètres, le point culminant de la commune, à La Sagne, au bois de Bessat, au-dessus du village de Loudoueineix. Avec une superficie de 4 800 hectares (48 km²) et une population de 456 habitants, Faux fait partie de ces communes rurales les moins denses de France : 8 habitants au km². Pour vous donner une idée : si Paris avait la densité de Faux-la-Montagne la capitale n’aurait que 840 habitants tandis que si Faux avait la densité de Paris, y habiteraient plus d’un million de personnes ! Nous sommes ici dans ce qu’un très sérieux sénateur, auteur d’un rapport sur le sujet, a nommé en 2014 « l’hyper-ruralité ». Ce qu’en des temps où les mots étaient moins précautionneux on appelait le rural profond. La première grande ville (Limoges) est à 70 kilomètres, la préfecture (Guéret, 13 000 habitants) à 55.
Déclin…
Comme toutes les communes rurales de France, Faux n’a pas toujours été si peu peuplée. L’exode rural est passé par là, bien aidé par la saignée de la guerre de 1914-1918 (103 morts inscrits sur le monument communal, soit un homme sur 8). En 1881, apogée démographique de la commune, il y avait presque 2 000 habitants ici – 1 997 très exactement nous précisent les chiffres du recensement de cette année-là. Et 18 bistrots, compléteront les anciens qui se rappellent encore un monde plein avec de nombreux enfants à l’école et des villages (c’est ainsi, qu’ici, on nomme les hameaux) densément habités.
Mais pas toute l’année ! Depuis plusieurs siècles, comme dans beaucoup de communes creusoises, les hommes du village partaient à Paris, Lyon ou Bordeaux, travailler comme maçons ou ouvriers du bâtiment. En 1911 ils étaient 200 dans ce cas sur une population active de 640. Ils s’absentaient durant huit bons mois, de mars à novembre, pour travailler sur les chantiers de ces grandes villes, certains s’y établissant définitivement, surtout à partir du moment où les chantiers se sont poursuivis tout au long de l’année sans interruption. Dès lors les fameux « maçons de la Creuse » ne reviennent plus guère au pays et, au contraire, le quittent avec femmes et enfants. Le déclin démographique entraîne dans sa suite la disparition des commerces, le vieillissement de la population restée sur place, la baisse des effectifs scolaires, la fermetures de classes. Une page est en train de se tourner pour Faux-la-Montagne.
… et renouveau
Cette histoire n’a rien de très original. Elle a intéressé les historiens et les sociologues qui, ailleurs en France, ont observé cette transformation des communes rurales françaises. Parmi les plus récents à s’être penchés sur ce thème, un anthropologue et un sociologue. Le premier, décrivant son village de Chichery, dans l’Yonne, parle d’un « village métamorphosé » qui n’est plus vraiment un village mais qui ressemble de plus en plus à une zone suburbaine, à 14 kilomètres d’une grande ville (Auxerre) et à deux heures de route de Paris[1] Le second, étudiant le village de Cadenet, dans le Vaucluse, parle carrément de « la fin du village »[2] Là encore, la culture urbaine semble avoir tout recouvert d’une antique civilisation qui ne subsisterait plus que dans quelques écomusées. À la différence de Chichery et de Cadenet, c’est peut-être la chance de Faux-la-Montagne de ne pas s’être trouvé si proche d’une grande agglomération qui l’aurait englouti ou asphyxié. Trop loin de tout, le village, s’il ne voulait pas mourir, devait réagir. Refusant la fin programmée diagnostiquée par Le Goff, il a réussi une reconversion qui fait qu’aujourd’hui, sa population croît à nouveau.
Mais pour croître il faut y croire, et c’est c’est première conversion qu’en trente ans Faux-la-Montagne a vécue. Au moment où certaines voix pessimistes (qu’on ne saurait condamner, tous les éléments alors allaient dans leur sens) disaient la fin irrémédiable des choses, d’autres tenaient un tout autre discours. Il faut ici parler de celui qui fut maire de la commune durant 33 ans, de 1977 à 2008 : François Chatoux[3]. Le garçon est issu d’une famille du pays, même s’il est né, a grandi et fait ses études d’agronomie bien loin de Faux. À 28 ans, il décide de venir s’y installer comme agriculteur. Presque simultanément il devient maire de la commune avec la conviction que la spirale du déclin n’est pas irréversible et que c’est à la municipalité de prendre les choses en main pour l’enrayer et appuyer toutes les démarches, publiques ou privées, qui joueraient, à contre-courant de l’air du temps, la carte de la renaissance. Il n’y a plus de restaurant à Faux ? La commune achète les murs de ce qui deviendra l’auberge communale, La Feuillade, qui, depuis, n’a cessé de tourner. De nouveaux habitants veulent venir vivre à Faux ? La collectivité fait tout pour les accueillir et leur rendre l’installation la plus aisée possible.
La population exprime de nouveaux besoins ? François Chatoux et son équipe se mobilisent pour y répondre en soutenant une vie associative particulièrement dynamique, en aménageant les locaux de la crèche ou les studios de Télé Millevaches, convaincus qu’une vie associative forte est source d’économie locale et de richesse culturelle. Si le baromètre de la réussite peut se juger à l’évolution démographique, on en perçoit dès le début des années 1980 les résultats en regardant ce qui se passe autour de l’école communale. D’une classe unique de 11 élèves en 1971, on passera à trois classes qui rassemblent près de 60 élèves à la rentrée scolaire 2008. Et si une classe sera fermée quelques années plus tard, il y en a, à nouveau trois aujourd’hui avec une bonne soixantaine d’enfants. Ce n’est pourtant pas que la population globale ait soudainement augmenté (les effets démographiques ne se constatent que sur le long terme), mais, et c’est déjà une prouesse dans le paysage régional, elle s’est rajeunie et stabilisée avec un nombre d’habitants qui se maintient peu ou prou au cours des années 1980-2010 entre 360 et 400. Les chiffres du recensement de 2016, marquent même une croissance nouvelle : 57 nouveaux habitants sont répertoriés, soit une hausse de 15%. La barre des 400 habitants est dépassée – nous sommes 409 ! – un niveau qui n’avait plus été atteint depuis 1975. Au 1er janvier 2022, nous sommes 456 habitant-es.
Un village en mouvement
À Faux, l’horizon n’est donc pas à la « fin du village » et, si la commune s’est sans doute « métamorphosée », les changements ne sont pas, ici, aussi destructeurs qu’ailleurs. S’il fallait qualifier Faux, on proposerait volontiers (en reprenant la formule du « jardinier planétaire » creusois Gilles Clément) de l’appeler un « village en mouvement ». En mouvement, car, comme le jardin du même nom de Gilles Clément, c’est un village qui « est constitué d’êtres en mouvement », que le « mouvement est manifestation de la vie », qu’ « il tente d’aller le plus loin possible avec, le moins possible contre », et qu’ ‘il « interprète et exploite les énergies en place »[4].
En mouvement, car sans cesse au cours des quarante dernières années Faux a cherché à s’adapter aux évolutions du monde souvent en innovant. C’est ici qu’est née la plus ancienne des télés locales de France (Télé Millevaches), c’est ici qu’a été créée la première intercommunalité rurale du Limousin (le Sivom puis la communauté de communes du plateau de Gentioux), c’est ici que le premier écoquartier rural labellisé par le ministère de l’Environnement a vu le jour, c’est ici qu’une des premières maisons médicales du secteur réunissant plusieurs professionnels de la santé a été bâtie, c’est ici qu’on envoie les journalistes ou les étudiants qui veulent comprendre les évolutions du monde rural, c’est ici qu’a été créée l’une des cinq ou six sociétés anonymes à participation ouvrière de France (Ambiance Bois) et l’une des toutes premières sociétés coopératives d’intérêt collectif du Limousin (l’Arban), etc.
Et lorsque il lui manque un kiné, Faux-la-Montagne s’empresse, en convoquant les talents locaux, de réaliser une vidéo qui fait le buzz sur Youtube – bon là, d’accord, j’exagère, mais allez quand même la voir.
En mouvement encore, car Faux a su, au cours de toutes ces années, que son avenir n’était possible que si le village se bougeait, ne restait pas les bras croisés à attendre la fermeture des services publics mais savait les ouvrir à de nouveaux habitants, soutenait de nouvelles activités, de nouveaux projets. En mouvement toujours, car ses habitants eux-mêmes bougent, viennent d’ailleurs pour certains, reviennent au pays au moment de la retraite après avoir vécu ailleurs, ne craignent guère la mobilité et le mouvement. Comme dit une des intervenantes du livre Portraits d’habitants : « Mon fils a 14 ans et demi, donc il hésite entre New-York et Faux-la-Montagne. » En mouvement vous dis-je !
Michel Lulek
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[1] Pascal Dibie Le village métamorphosé, Révolution dans la France profonde, Collection « Terre humaine », Plon, 2006.
[2] Jean-Pierre Le Goff La fin du village, une histoire française, Gallimard, 2012
[3] Sur François Chatoux, décédé en 2013 à l’âge de 64 ans, on lira « François Chatoux, l’homme qui avait tout compris », dans IPNS n°43 (accessible sur www.journal-ipns.org) et on regardera l’hommage que lui a consacré Télé Millevaches (sur https://vimeo.com/67833415).
[4] Gilles Clément Une écologie humaniste, Aubanel, 2006
Le nom de Faux-la-Montagne vient du « hêtre », du latin fagus (fayard, fayardier)
Informations géographiques
Commune | Faux-la-Montagne |
Code postal | 23340 |
Latitude | 45.7493790 (N 45° 44’ 58”) |
Longitude | 1.9359210 (E 1° 56’ 9”) |
Altitude | De 525m à 826m |
Superficie | 47.89 km² |
Population | 456 habitants |
Densité | 8 habitants/km² |
Préfecture | Guéret (62 km, 1h04) |
Code Insee | 23077 |
Intercommunalité | Communauté de Communes « Creuse Grand Sud » |
Département | Creuse |
Région | Nouvelle Aquitaine (Limousin avant 2016) |